Le wolfram, considéré autrefois comme une impureté parce qu’il gênait la fusion des minerais, est devenu une matière première très recherchée car son point de fusion est particulièrement élevé (3 400°).
Utilisé au cours du 20ème siècle dans la fabrication des filaments de lampes électriques, le wolfram ou tungstène, agrégé à d’autres minerais, participe, à la production d’acier de haute qualité. Il est aussi recherché dans l’industrie de l’armement.
Urbain Bramarie
La maladresse d'un frotteur de parquets
En 1910, Urbain Bramarie, comme tant d'autres habitants du Veinazès, travaille à Paris comme frotteur de parquets.
Un jour, alors qu'il assure le nettoyage d'un bureau parisien, il bouscule une pierre de la collection d'un ingénieur anglais, qui tombe et se casse en deux.
Confus, Urbain cherche à dédramatiser la situation : chez lui, il y en a partout de ces pierres... on les utilise même pour empierrer les chemins.
Le 29 octobre 1910, Ernest Lizeray, après avoir reconnu sur place des affleurements en différents points et avoir délimité un périmètre géographique bien précis, sollicite l’autorisation de faire des recherches, en accord avec les propriétaires des terrains.
Ces dernières sont fructueuses car en juin 1912, J. de Catelin représentant la société des Mines de Borralha (Portugal), informe le service des mines qu’il commence des travaux de recherches et d’exploitation dans la commune de Leucamp pour minerai de wolfram et autres métaux.
Des paysans du coin sont chargés d'acheminer, avec leurs chars à bœufs, depuis la gare d’Arpajon-sur-Cère jusqu’au site de Bancarel le matériel nécessaire aux premiers travaux souterrains. Les quelques tonnes de minerai produites au cours des travaux de recherches, sont livrées aux usines de la Compagnie des Aciéries et Forges de la Marine et d’Homécourt à Saint Chamond (Loire).
Finalement, en 1915, la demande de concession par la société des Mines de Borralha s’appuie sur les travaux de recherches de J. de Catelin.
En septembre 1916, le Président de la République, Raymond Poincaré, signe enfin le décret d’attribution de la concession de Leucamp à la Société des Mines de Borralha.
Tandis que les premiers concasseurs, broyeurs, tamiseurs sont installés pour isoler la poudre grise et brillante de tungstène à Leucamp, les jeunes hommes du Veinazès combattent dans « l’enfer » de Verdun.
En 1916, seulement sept personnes (quatre hommes et trois femmes) travaillent à la mine, bientôt rejoints par une vingtaine de prisonniers allemands. Suite à une évasion, ces derniers sont rapidement remplacés par des soldats français.
La « cantine » (premier bâtiment qui servira aussi de dortoir) est aménagée au lieu-dit « la Souque ».
En 1917, la concession est vendue à la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt, une société basée en Lorraine qui envoie aussitôt du personnel compétent en renfort. En 1918, vingt-cinq mineurs travaillent quotidiennement à Leucamp, à l’exception d’un dimanche sur deux. Quelques mois après l’Armistice, en mars 1919, l’extraction du minerai est stoppée et les mineurs lorrains repartent chez eux.
Les galeries sont seulement fermées. Pour interdire l’accès au site de Bancarel et assurer l’entretien contre la végétation envahissante, la « Compagnie » embauche deux Leucampois : Frédéric Bayssac et Sylvain Laborie.
Régulièrement, les deux employés de la mine descendent sur le « carreau » car la « Compagnie » a tout laissé sur place. Envisageant la reprise de l’activité, elle continue d'acquérir du terrain qui environne l’usine.
Pourtant, au cours des années 1930, les habitants doutent d’une réouverture de la mine et la vie à Leucamp ressemble à celle des autres villages du Veinazès. Outre l’exploitation d’une petite ferme, les hommes qui n’émigrent pas, sont aussi bûcherons, scieurs de long, tailleurs de pierre, maçons, sabotiers, charbonniers, fabricants de panières à fromage…
Au moment de la deuxième guerre mondiale, le wolfram redevient un minerai convoité.
On autorise bientôt l’installation à Leucamp d’un camp de jeunesse d'une quarantaine de jeunes de la région qui viennent travailler à la remise en état de la concession.
En 1941, la mine ré-ouvre avec M. Schlesser comme directeur de la mine tandis que des ingénieurs prospectent de nouveaux filons de wolfram. Leur exploitation reprend en 1943. Jusqu’en 1950, elle restera limitée à l’Éperon de Bancarel et au Ravin de la Mine.
L'instauration du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) oblige la France à fournir de la main-d'œuvre aux usines du Reich mais cette situation pose un cas de conscience à certains hommes.
La loi prévoyant que quelques catégories de travailleurs, parmi lesquelles les mineurs de fond sont exemptées, encourage de jeunes cantaliens, soucieux d’échapper au S.T.O à s'embaucher à la mine. Certains d’entre eux contribuent aux fouilles lancées à quelques kilomètres de là, à Teissières-les-Bouliès.
D’autres natifs du pays, ne pouvant bénéficier du recrutement local pour échapper au S.T.O, deviennent réfractaires et pour survivre, trouvent à la mine, à la fois une « planque » et une couverture. C’est très certainement cette population en situation irrégulière qui fomentera le mouvement de résistance de la mine de Leucamp.
Au même moment, les occupants s’intéressent aux petites mines françaises produisant du wolfram et en décembre 1943, une compagnie de soldats allemands est envoyée à Leucamp pour surveiller la production de tungstène. Les soldats logent sur le carreau de la mine et l’un d’eux est toujours posté à la Croix de Trapouet.
Dans la mine, les galeries servent déjà de caches d’armes tandis que de l’explosif disparaît. Quant au tungstène produit, une partie est camouflée ou détruite par la Résistance. Finalement, avec quarante-cinq ouvriers, la mine produit en 1943 deux fois moins de tungstène qu’en 1918, date à laquelle elle ne comptait que vingt-cinq employés.
A Leucamp, un groupe de résistance s'est organisé autour de René Bynem, géomètre de la mine.
A la fin du mois de mai 1944, il est chargé par Jean Canet, chef communal du Mouvements Unis de la Résistance, d'organiser les groupes armés de la mine dont le départ est fixé au lundi 5 juin, à cinq heures du matin pour une destination inconnue.
Le dimanche soir, à minuit, un premier groupe de sept ou huit disparaît dans la nuit ; à une heure c'est un autre groupe et ainsi d'heure en heure, suivant le programme fixé. Dans chaque groupe, un responsable connaît le rendez-vous provisoire, un agent de liaison vient donner le rendez-vous définitif, tous se retrouvent fidèlement sur la route de Leucamp au lieu-dit « La Joyeuse » où des camions viennent les prendre.
Ce premier convoi comprend 54 partants des communes de Junhac, Ladinhac, Lafeuillade-en-Vézie, Leucamp, Montsalvy et Teissières-les-Bouliès. Le chef‑cantonal de la résistance, devenu le lieutenant Lac, ou plus exactement le lieutenant « Fred », de son nom de maquis, commande le détachement. Paul Combourieu, de Montsalvy, en tête avec sa moto, sert d'agent de liaison et d'éclaireur.
Les jours suivants, des renforts en provenance du Veinazès viennent renforcer ces premiers éléments. Au total, le maquis de Montsalvy groupe 94 hommes et c'est au Mont Mouchet qu'il va faire ses premières armes.
Cinq jeunes mineurs, René Laroussinie, Philippe Crouigneau, Paul Crouigneau, Nicolas Wolbert (de son vrai nom Welter) et Sylvain Noël meurent au cours des combats du Pont-Rouge (20 juin 1944) et du Lioran (11, 12 et 13 août 1944). Un monument, financé par la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt est édifié en leur mémoire dans le cimetière de Leucamp et inauguré le 3 novembre 1945.
Après la guerre, de nombreuses indus-tries (aéronautique, navale, maritime, aciéries) restent friandes de tung-stène pour leurs productions.
Dès l’année 1946, le rendement de la mine de Leucamp repart à la hausse et l’effectif des mineurs augmente : 36 mineurs en 1945, 66 en 1946, 88 en 1947…
L’outillage est modernisé, notamment la laverie de Bancarel. Les concasseurs, les broyeurs, les compresseurs, les bacs de tri pour le minerai, sont entretenus par une équipe de mécaniciens.
La « compagnie » assure aux mineurs venant des communes avoisinantes à Leucamp, un transport en commun avec une camionnette qui vient de Montsalvy et une autre de Lafeuillade.
Le salaire des mineurs travaillant depuis quatre ou cinq ans à Leucamp incite les voisins à venir s’y faire embaucher. « Les mineurs continuaient à faire leur petite ferme, ils étaient à la sécurité sociale. S’ils avaient des enfants, ils touchaient les allocations familiales et ça a été un regain, une bouffée d’argent qui est entrée dans les maisons. Les gens qui habitaient à Leucamp, il y en a beaucoup qui avaient de très petites fermes qui végétaient… le mari est parti travailler à la mine et le soir, il avait le temps de rentrer son foin, il avait sa femme pour l’aider à la ferme ; ça a été une bouffée d’oxygène formidable. A ce moment là, la mine ça a été une paye qui arrivait tous les quinze jours et dans un ménage où il n’y avait rien, c’était quand même bien… Lorsqu’ils n’avaient que deux ou trois vaches, ils ne vendaient un veau que de temps en temps, c’est tout. »
La mine draine donc principalement des petits exploitants agricoles ou des ouvriers agricoles : « Les paysans qui travaillaient [à la mine] étaient bien contents mais les autres qui ne trouvaient plus de personnel parce que la mine payait mieux, ils ne trouvaient pas ça formidable ! »
Si la mine apporte une réelle aisance matérielle, ces avantages sont chèrement payés par les premiers mineurs.
Il y a d’abord les pleurésies, puis la silicose, le « cancer des mineurs ». A Leucamp, les premiers cas apparaissent parmi les mineurs venus travailler dès 1943.
« A la mine, la journée passe à creuser, creuser puis bouffer de la poussière empoisonnée. Beaucoup sont morts silicosés. Surtout parmi l'équipe de l'après-midi. Elle prenait le relais tout de suite, la poussière n'avait pas le temps de se reposer, ils en prenaient plein les poumons.».
Le masque utilisé est peu efficace pour des poussières de 3 à 5 microns et l’évolution de la maladie semble effectivement plus rapide chez les mineurs de Leucamp et de Teissières, par rapport à la moyenne nationale. « Dans les années 1947-1948, ça faisait quatre ou cinq ans qu’ils travaillaient et qu’ils ne connaissaient pas les risques de la silicose. Alors, c’est le délégué mineur qui, dans des réunions, leur a demandé « comment vous travaillez ? ». Et c’est d’ailleurs Edouard Meyniel qui leur a dit : « on travaille comme ça et comme ça ». On a dit aux mineurs de Leucamp : « il faut faire attention parce que… ».
Finalement, ils ont fait passer les visites et tous ceux qui avaient quatre ou cinq ans de fond, ils avaient plus ou moins la silicose ».
La France reconnaît « la silicose » comme maladie professionnelle en 1948-1949.
La direction institue un règlement intérieur qui entre en vigueur le 1er avril 1950. Celui-ci conditionne désormais le métier de mineur à Leucamp. En cas de conflit, chacun devra s’y référer. Ce règlement fixe aussi de nouvelles règles pour l’embauchage. « Tout ouvrier nouvellement embauché sera affecté au Jour, à moins qu’il ne soit mineur de profession. » Le Veinazès n’étant pas une région minière, les postulants locaux ne connaissent pas le métier de mineur et se retrouvent obligatoirement au jour, où ils gagnent moins d’argent. L’instauration de ce règlement n’est pas au goût de tous. La grève très dure qui s’ensuit, conduit au licenciement de 52 ouvriers qui travaillent au jour (à la surface) et à 75 ouvriers du fond (dans les galeries).
Pour fonctionner, la mine a besoin de mineurs et réembauche rapidement de nouveaux ouvriers locaux, encore inexpérimentés.
Parallèlement, elle prospecte dans le Nord, département minier, en proposant un bon salaire à des mineurs expérimentés, acceptant de venir travailler dans le Cantal. « A l’époque, il fallait travailler, que ce soit dans le Nord ou ici. Ici, j’avais l’opportunité de pouvoir travailler 365 jours par an puisque c’était l’entretien des machines. Je sortais d’une école professionnelle où j’étais chaudronnier en industrie. Mon cousin qui était ingénieur, m’a demandé si je ne voulais pas venir à Leucamp parce qu’il n’y avait pas de soudeur, de chaudronnier, parce qu’il y avait beaucoup de chaudronnerie industrielle à faire à Leucamp. J’avais à peine 18 ans, c’était l’hiver 1951. J’étais le seul à travailler à l’atelier.
Les autres copains du Nord travaillaient au fond. C’est d’ailleurs eux qui ont initié les gars d’ici à travailler dans la mine. Ici, c’était d’abord des paysans qu’on avait embauchés. Ils ne connaissaient pas ce travail et ils l’ont vraiment appris avec les mineurs venus du Nord. »
La mine améliore encore son rendement et se classe au premier rang des producteurs de wolfram en France. Cette position est largement favorisée par la guerre de Corée (1950-1953) qui limite les importations provenant de ce pays. De nouvelles extractions sont entreprises dans les hameaux de Caylus (Vezels-Roussy) et de Gramont (Leucamp).
Désormais, après leurs pères ou leurs frères, c’est une nouvelle génération de mineurs qui franchit le carreau de Bancarel. Ils sont jeunes, ils ont la vie devant eux, ils ont du travail au pays et ils sont formés au métier. Par ailleurs, en observant autour d’eux les premiers mineurs atteints par la silicose qui « n’en finissent pas de cracher leurs poumons et de s’étouffer», ils s’efforcent de mieux protéger leur santé.
En dehors des quelques mineurs professionnels venus du Nord, les ouvriers proviennent toujours des villages de Leucamp (42%), Ladinhac (20%), Lafeuillade (25%), Montsalvy (5 à 7%), Murols (Aveyron), Mur-de-Barrez (Aveyron) et Teissières-les-Bouliès. Quant aux salaires de la mine, ils sont les plus élevés de la région. « A l’époque les salaires étaient valables comparés à ce qui se gagnait dans les fermes ou dans la maçonnerie ; ça gagnait du simple au double. C’est pour ça que les jeunes, ils y travaillaient beaucoup. Ça nous convenait cette mine, c’était une bonne ressource mais on voyait bien que ce n’était pas un métier à faire toute sa vie. »
Les retombées économiques et sociales de la mine modèlent le village de Leucamp et les mœurs de ses habitants. « A cette époque, il y avait du monde qui n’était pas forcément originaire de Leucamp. Il y avait vraiment une ambiance où les gens étaient très soudés. Je pense que c’était lié à la mine. Il y avait des Espagnols, des Portugais, des Polonais. J’ai souvenir des périodes de neige où mon père nous avait fait une luge pour que tous les enfants puissent y monter dessus. Nous, nous étions trois enfants et il y avait tous les voisins à côté. On devait y monter à dix sur ce traîneau. » Avec près de 90 enfants scolarisés, l’école doit s’agrandir. Elle s’embellie de douches qui incitent au respect des règles d’hygiène et la « compagnie » finance un cinéma scolaire.
Il faut aussi loger de nombreux mi-neurs célibataires et face à cette crise du logement, quel-ques excès sont commis.
Le plus souvent, les mineurs céliba-taires logeant chez l’habitant prennent pension au restau-rant du village, chez Poujol. A cette époque, il y a deux fréquences de travail à la mine (5 heures - 13 heures / 13 heures - 21 heures) et cela crée une animation permanente dans le bourg. « Mes parents avaient beaucoup de pensionnaires. Certains mangeaient à 11h30 parce qu’ils commençaient à une heure ; on avait là une équipe. Ensuite il y avait le repas pour les gens qui travaillaient au bureau, pour l’ingénieur et tout ça. Après il y avait l’équipe du matin qui remontait et qui mangeait vers 13h30. Il fallait donc faire trois services.
Le soir, il n’y avait plus que deux services parce qu’il y avait le repas pour les employés du bureau et ceux qui étaient par là. Ensuite, il y avait les mineurs qui remontaient vers 21h30.» Ainsi, en soirée, quand tous les mineurs sont rentrés, ils se retrouvent pour boire un verre ou pour jouer aux cartes. On se presse dans les onze cafés de Leucamp.
Leucamp compte désormais près de 500 habitants qu’il faut nourrir. Toutes les semaines, des bouchers, des épiciers, des boulangers font leur tournée en camionnette.
De nombreux représentants de commerces aurillacois prolongent aussi leur circuit jusqu’à Leucamp pour vanter les nouveaux meubles ou l’électroménager. Les mai-sons de la commune sont les premières à s’équiper en « butagaz » (cuisinières) ou en frigidaires, tandis que le lavoir disparaît avec l’introduction des machines à laver.
Enfin, chaque semaine compte trois jours importants. Le mercredi et le samedi durant lesquels le car de la ligne Teissières-Aurillac-Leucamp, conduit de nombreux Leucampois à la ville et le dimanche, jour de repos, où l'on suit la fameuse équipe de football du Leucamp Sport.
Les premiers à travailler, ce sont les surveillants. Il commencent leur journée à quatre heures pour mettre les machines en route. Une heure plus tard, « chaque mineur va chercher sa lampe à carbure et remet son jeton puis il rejoint son poste. Le boute-feu apporte l’explosif lorsqu’on doit miner.»
« Il y avait 25 équipes du matin quand ça marchait bien, qu’on était 200 à la mine. Une équipe, c’était deux ou trois gars qui travaillaient au fond. Chacune avait deux wagons et pendant qu’on en vidait un, on remplissait l’autre.
Le minerai, c’est comparable à un arbre. Il y a le tronc et après il y a les ramifications un peu partout. Alors, il y a la galerie principale et après, il y a de nombreuses exploitations pour suivre tous ces petits filons de wolfram. On faisait des trous, on mettait le wagon dessous et quand il était plein, on le remplaçait avec le vide. »
« On descendait les wagonnets par le plan incliné jusqu’à la tête de la laverie. Là, le minerai était concassé, broyé, trié, lavé, séché, brûlé. On obtenait une poudre noire : le tungstène qui était alors mis en sac ou en bidon de 50 à 70 kilos. Ensuite le camion de la mine l’amenait à la gare d’Arpajon où il était acheminé vers les fonderies. »
« Dans la galerie, on avançait d’un mètre, un mètre cinquante par jour, selon la dureté de la roche. Et ça faisait au moins une tonne à tirer par jour. Les autres ouvriers, ceux qui posaient les rails, boisaient les galeries ou roulaient des wagonnets et ceux de la laverie ou de l’atelier, c’était pas pareil, ils étaient payés à l’heure. Tout le monde faisait huit heures avec une pause à mi-parcours pour le casse-croûte. »
Pour augmenter le rendement, les mines instaurent des primes à l’avancement. A Leucamp, quelques mineurs, par appât du gain, délaissent leur masque qui les freine dans leur progression dans les galeries. « Je peux exactement vous dire à quel moment je l'ai attrapée ma silicose, où dans la mine. Voyez‑vous, les mineurs étaient payés tant par mois, plus une prime à l'avancement. Plus l'avancement était grand, plus la prime augmentait. Par exemple pour 1 mètre, on avait 1000 francs ; pour 2 mètres, 1500 francs par mètre ; pour 3 mètres, 2000 francs par mètre ; etc.
Alors un jour je suis allé voir le directeur et je lui ai dit : « J'ai besoin d'argent, je ne veux plus être maître mineur, je veux être simple mineur de fond. En ce moment je gagne 15 000 francs par mois ; avec les 2 Espagnols, on va travailler en équipe sur deux chantiers en même temps. 3 tirs par jour, on fera 3 mètres d'avancement par jour ». Il ne voulait pas me croire : 1 mètre par jour, c'était déjà une bonne moyenne. Mais il m'a laissé faire. On a fait nos 2‑3 mètres par jour et j'ai gagné 40 000 francs par mois. J'ai bâti ma maison mais j'y ai laissé mes poumons. Dans certaines galeries, à 2 mètres, on ne voyait pas une lampe allumée. »
Face à la concurrence étrangère, plusieurs compagnies minières se regroupent. La Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt fusionne avec d’autres sociétés pour former la Compagnie des Ateliers et Forges de la Loire (CAFL). Dans cette nouvelle structure, la mine de Leucamp est louée à une filiale, la Société des Mines d’Ercé en Lamée (Ille-et-Vilaine) mais rapidement naissent des rumeurs de fermeture.
En 1956, la guerre en Algérie éclate. Les jeunes mineurs quittent la mine. « A partir de ce moment, ça s'est éclaté. Tout le monde partait, soit à la guerre, soit chercher du travail ailleurs. On sentait que c'était la fin. »
La production chinoise envahit désormais le marché mondial, avec du wolfram moins cher.
La mine [de Teissières-les-Bouliès ferme définitivement en janvier 1957 après avoir produit 300 tonnes de métal.
Deux années de luttes opiniâtres, une vague de licenciements en 1958 et la mine de Leucamp ferme à son tour après avoir produit 1700 tonnes de minerai.
Par arrêté ministériel, l’exploitation est suspendue le 9 novembre 1959. Les employés restants, parmi lesquels le directeur, sont licenciés le 31 décembre 1959.
« Ils ont affiché une feuille. Fermeture tel jour et il n’y a eu aucun recours. Je me souviens que l’instituteur m’a dit : « il faut t’inscrire au chômage ». On aurait été malade, on aurait été à l’assurance mais là, aucune indemnité de rien. Ceux qui avaient fait quinze ans de service ont eu droit à la proportionnelle. On vous donne une pension selon le nombre d’années que vous avez faites. Si vous n’avez pas fait quinze ans, vous n’avez droit à rien du tout. »
Avec la mine disparaissent aussi des rendez-vous annuels qui rythmaient jusqu’alors la vie de Leucamp comme l’arbre de Noël pour les enfants. En revanche, le banquet des mineurs, organisé le 4 décembre, jour de la Sainte Barbe, s’est maintenu après la fermeture. Progressivement, la date a été avancée à l'automne car à la Saint Barbe, il peut y avoir de la neige et certains anciens mineurs viennent de loin. Le dernier banquet a eu lieu en 2009, cinquante après la fermeture définitive de la mine.
Au début des années 1970, la concession de Leucamp entre dans la Société Creusot Loire.
Depuis 1975, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (B.R.G.M.) a entrepris des sondages, des travaux de recherche et des essais de traitement, dans l’optique d’un éventuel couplage avec le gisement d’Enguialès (commune du Fel -Aveyron).
Mais l’activité minière ne redémarre pas, bien au contraire. Trois ans plus tard, le site d’Enguialès ferme à son tour avec le licenciement d’une centaine d’ouvriers.
En 1983, la concession de Leucamp est mutée au B.R.G.M. qui entreprend de nouveaux sondages, dans l’éventualité d’une relance de la production.
Il estime à 7000 tonnes (4 fois la valeur jusqu’alors exploitée) de réserves de minerai encore présentes dans le sous-sol leucampois (à une profondeur de 100 mètres environ).
Le site d’Enguialès posséderait encore 5000 tonnes de réserves.
Le sol d’un autre site, jamais exploité et situé au Viala, révèle aussi une teneur en wolfram.
L’année 1991 marque durablement les esprits avec l’avant projet national d’enfouissement de déchets nucléaires. Leucamp figurant en bonne place sur la carte des sites potentiels français, une forte mobilisation locale enraye finalement toute idée de suite dans le projet.
En 1996, le B.R.G.M. renonce à la concession et l’année suivante, la commune de Leucamp devient propriétaire de l’ensemble des terrains de la mine, soit 80 hectares. Elle espère ainsi posséder les meilleurs atouts en cas de projets à venir.
Cependant, depuis sa fermeture en 1959, la mine de Leucamp s’auréole régulièrement de mystères. Dès qu'un fait divers survient, la mine revient dans les conversations.
Ainsi, en 2007, suite à l’arrestation à Labesserette de membres du groupe indépendantiste et séparatiste basque Euskadi Ta Askatasuna (E.T.A.), la rumeur transforme en quelques jours la mine de Leucamp en cache d'un véritable arsenal.
Depuis 2002, la promenade des mineurs prolonge, autour du carreau de la mine, la découverte de l’aventure minière de Leucamp initiée dans l’espace muséographique de la maison des mineurs de la Châtaigneraie.
Bernard Coste, La mine de wolfram de Leucamp, Chronique du Veinazès, N°36, octobre 2009-juin 2018.
De Leucamp au Pont Rouge, Editions du Musée de la Résistance d'Antérieux (Cantal), 2004.
Wladyslas Palusinski, Etude générale des mines de Leucamp, autoédition, 1983.
Bernard Giacomo et Catherine Liéthoudt, Teissières, Leucamp, Enguialès, 40 ans de pillage !, revue Vai-i qu'as paur, Institut d'Etudes Occitanes-Cantal, N°13, été 1979.
Archives départementales du Cantal.
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